La promesse de l’aube
“J’ai gardé, de mon premier contact avec la France, le souvenir d’un porteur à la gare de Nice, avec sa longue blouse bleue, sa casquette, ses lanières de cuir et un teint prospère, fait de soleil, d’air marin et de bon vin.
La tenue des porteurs français est à peu près la même aujourd’hui et,
à chacun de mes retours dans le Midi, je retrouve cet ami d’enfance.
Nous lui confiâmes notre coffre, lequel contenait notre avenir, c’està-
dire la fameuse vieille argenterie russe, dont la vente devait assurer
notre prospérité, au cours des quelques années qu’il me fallait
encore pour me retourner et prendre les choses en main. Nous nous
installâmes dans une pension de famille, rue de la Buffa, et ma mère,
ayant à peine pris le temps de fumer sa première cigarette française
une gauloise bleue - ouvrit le coffre, prit quelques pièces de choix
du “trésor”, les plaça dans sa petite valise et, d’un air assuré, partit
à travers Nice à la recherche d’un acquéreur. Quant à moi, brûlant
d’impatience, je courus renouer mon amitié avec la mer.”
Extrait de La promesse de l’aube de Romain Gary
“NICE, l’Écriture en Héritage”
Biographies
Romain Gary, important homme de lettres de la seconde moitié du xxe siècle, est l’auteur de nombreux ouvrages dont l’Éducation européenne, son premier roman publié en 1945 (éditions Calmann- Lévy), Les Racines du ciel qui est récompensé du prix Goncourt en 1956, La Promesse de l’aube, en 1960, à partir duquel il se consacre de plus en plus à son activité d’écrivain ou encore Chien blanc (1970), récit autobiographique écrit dans le contexte de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 1967-1968.
L’oeuvre littéraire de Gary est marquée par un refus opiniâtre de céder devant la médiocrité humaine. Ses personnages sont fréquemment en dehors du système parce que révoltés contre tout ce qui pousse l’homme à des comportements qui lui font perdre sa dignité.
Ils oscillent entre la souffrance de voir leur monde abîmé, et une lutte pour garder coûte que coûte l’espérance. On peut dire que Romain Gary vit lui-même ces combats, mêlant admirablement le dramatique et l’humour. Il est également connu pour la mystification littéraire qui le conduisit, dans les années 1970, à signer plusieurs romans sous un nom d’emprunt, les faisant passer pour l’oeuvre d’un auteur différent. Il est le seul romancier à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises dans sa vie ; la première sous son nom de plume habituel en 1956 et la seconde, en 1975, sous l’identité d’Émile Ajar.
Ce n’est qu’après son décès que le public apprit que les deux auteurs étaient une seule et même personne.
Antoine Laurain est écrivain. Il est l’auteur de cinq romans, dont Le Chapeau de Mitterrand (Flammarion, 2012, prix Landerneau et prix Relay des voyageurs), traduit en plusieurs langues, et La femme au carnet rouge (Flammarion, 2014).